Don Quichotte de Cervantès (traduction de Jean-Raymond Fanio), Le livre de poche, 2010
Ce roman est sans doute le plus connu des romans mais peut-être le moins lu. Le plus connu ? Pas sûr, tellement il peut se lire à plusieurs niveaux (pur comique, satire sociale, analyse politique…). Il est plus complexe que le laissent supposer les quelques extraits connus de tous. C’est aussi une réflexion sur la littérature, sur l’écriture.
On sait que Don Quichotte a tellement lu d’ouvrages de chevalerie qu’il se prend pour un chevalier errant et qu’à ce titre il va parcourir le monde (en fait une petite partie de l’Espagne) pour combattre le mal et protéger les opprimés. Son cerveau, dérangé par ses lectures, va prendre des moulins à vent pour des géants, des auberges pour des châteaux, des troupeaux de moutons pour des armées…
Si l’ouvrage raconte ces aventures de très nombreuses pages narrent les discussions entre Sancho et son maître, entre Don Quichotte et les différents personnages (aubergistes, bergers, moines, ducs…) qui portent sur les différents sujets de la vie quotidienne (repas, mort, mariage, éducation…) mais aussi sur la façon de gouverner, sur les religions… De plus, il y rajoute d’autres histoires racontées (comme des nouvelles incrustées dans l’histoire principale) par des protagonistes du roman plus ou moins en rapport avec l’histoire même de Don Quichotte. L’auteur fait de nombreuses références à des livres plus anciens de l’antiquité (L’Illiade… ) ou aux livres de chevalerie (les notes de bas de pages sont importantes).
Outre la trame narrative, la construction est très originale. Cervantès est narrateur mais aussi un personnage du roman. Il dit que ce n’est pas lui qui invente cette histoire, mais qu’il traduit un manuscrit écrit en langue arabe par un « morisco » découvert à Tolède et il peut critiquer cet auteur fictif. De plus, le roman se compose de deux parties la première écrite en 1605 et la seconde dix ans plus tard. Don Quichotte y rencontre des personnages qui ont lu la première partie mais aussi d’autres aventures qui ne lui sont pas arrivées. En fait, entre les 2, a paru une fausse deuxième partie écrite par un autre auteur (Avellaneda). Cervantès introduit cette suite dans sa propre deuxième partie pour dénoncer la tricherie.
Dans ce deuxième livre, Don Quichotte et Sancho Panza sont différents du premier. Moins « illuminés », ils ont des moments de lucidité assez inattendus.
Le contexte est également important. N’oublions pas que les musulmans et les juifs ont été expulsés de l’Espagne au siècle précédent. Depuis 1492 ne restent que les juifs (conversos) et les musulmans (moriscos) convertis. Don Quichotte a été écrit dans ce contexte de racisme. L’inquisition y est encore ardente. Cervantès n’y apparaît pas particulièrement progressiste, c’est le moins que l’on puisse dire.
Mais pourquoi ce roman est-il toujours une référence ? Pour sa complexité, pour ses différents niveaux de lecture, pour ses réflexions sur l’art d’écrire, pour sa construction qui en font le début du roman moderne mais peut-être aussi parce que des rêves comme celui de Don Quichotte sont toujours en nous ? N’avons-nous pas des utopies qui se fracassent contre le réel ?
Ce lien entre rêve et réalité me semble le sujet majeur de ce roman. Est-on prêt à modifier nos convictions si la réalité ne va pas dans le même sens ? Nos lectures ne nous entrainent-elles pas dans des impasses ? ou
«…
Peu m’importent mes chances
Peu m’importe le temps
Et puis lutter toujours
[… ]
Pour atteindre l’inaccessible étoile. » (Jacques Brel)
Presque toutes les aventures de Don Quichotte se terminent mal mais il s’entête à poursuivre la mission qu’il s’est donnée étant persuadé qu’il est victime d’enchanteurs. Quels sont nos enchanteurs ?
Certains ou certaines se reconnaissent en Don Quichotte, d’autres en Sancho plus proche du réel.
Laurent D.