Ultramarins (Mariette Navarro)

Ultramarins de Mariette Navarro, Quidam, 2021

L’autrice est née à Lyon en 1980, elle écrit des poèmes et des romans .

Celui-ci se passe à bord d’un cargo de marchandises transatlantique. Les personnages sont la commandante, le second, le timonier, les 18 membres d’équipage et aussi bien sûr le cargo. Il plane aussi l’ombre du père de la commandante qui était lui même commandant de navire.

L’idée en est née lors d’une résidence d’auteurs à bord du cargo Fort Saint Pierre en 2012 et des discussions avec le commandant.

La traversée suit son cours normal jusqu’au jour où la commandante, très rationnelle, très stricte et respectée de ses hommes, s’entend leur permettre de se baigner en plein océan. Ceci nécessite l’arrêt des machines et l’extinction des radars et récepteurs radio. Une pause dans le cours des choses. Une coupure du monde extérieur, une ivresse d’avoir quelques instants pu échapper aux règles.

A partir de là, lorsque l’équipage remonte sur le bateau sur lequel la commandante est restée seule le temps de la baignade, tout semble se dérégler: déjà les hommes sont 21 maintenant, le moteur ne reprend pas son régime habituel, une brume épaisse s’est levée et rend la navigation difficile, la commandante se voit peu à peu (et son équipage le remarque) changer de comportement. Elle a aussi de plus en plus le besoin de communiquer avec son bateau, d’en entendre le cœur battre, lui parler. Elle pense de plus en plus à son père, le second est aussi perturbé et pense à son fils à qui il voudrait dire : « comment on doit en mer s’accrocher à son esprit plus fermement qu’ailleurs, comment il fait chaque jour pour vérifier sa pensée comme on vérifie la latitude, la longitude et les moteurs. »

C’est l’irruption de l’étrange, du mystère dans le quotidien, la routine bien huilée de la vie sur le bateau. »L’inquiétante étrangeté » de Freud, mais pas que, moins de retenue, de discipline chez elle, une sorte d’ivresse, de jouissance à vivre ces dérèglements.

Le lecteur est intéressé par cet univers de la vie à bord qui implique des relations différentes que les marins entretiennent avec leur famille. Il veut  aussi comprendre, savoir entre autres qui est le 21ème, si tout ça va s’arrêter et en même temps il profite avec eux de la baignade en haute mer magnifiquement décrite et est presque rassuré de voir la commandante être moins rigide. Il est  tour à tour libre, ivre  puis  angoissé avec l’équipage. Puis…. « Ils ne le savent pas encore mais son point final et sa voix de nouveau ferme sont un signal pour qu’à l’extérieur la brume commence à se dissiper un peu,. Ce n’est pas spectaculaire mais un étau se desserre imperceptiblement autour de leur gorge. » p105

La traversée touchera à son terme mais les     hommes auront peut-être changé.

J’ai beaucoup aimé ce livre qui nous emporte dans un univers inconnu de nous, la vie des marins au long cours mais fait aussi l’éloge que l’on pourrait avoir expérimenté dans nos vies, de la parenthèse, de l’échappée, de son plaisir, son ivresse avant le retour à la normale qui n’est pas forcément       ennuyeuse ou désagréable non plus.
Anne  A.